J’ai rencontré l’autre jour Catherine Cassildé, qui m’a raconté une étrange histoire de papillon. Elle m’a permis de vous la retranscrire ici, afin de faire tous connaissance avec la Marguerite-en-haillons ! Vous pouvez voir ses autres aventures et ses photos sur son blog : http://catherine-cassilde.over-blog.com
Voici son histoire :
Mais qu’est-ce que c’est ? Un fruit étrange ? Un nid d’un genre nouveau ? Non ! C’est un papillon !!!
Bon, j’exagère un peu, je le concède, mais ce n’est pas très loin. C’est une chenille... en fait, le fourreau d’une chenille… une sorte de cocon mais pas un cocon qui protège une chrysalide …
Oiketicus kibyi, de la famille des Psychidae… Marguerite-en-haillons de son petit nom.
Chez la plupart des lépidoptères la femelle, ailée, pond des œufs, desquels sortent des chenilles voraces. Couleur feuillage ou faux yeux à l’arrière du corps, découpage et pliage de feuilles en nids temporaires, projection de substances peu appétentes voire de « faux sang », à poils urticants ou vénéneuses … les stratégies sont nombreuses pour dissuader les prédateurs, se défendre ou passer inaperçues. Le moment venu, les chenilles fabriquent une chrysalide, parfois entourée d’un cocon protecteur en soie, dans laquelle elles subissent une métamorphose avant d’émerger sous la forme ailée que nous appelons papillon. Un jeune Mr papillon fait sa cour à une jeune Mme papillon et puis … Si si, vous avez sûrement déjà croisé des papillons accrochés l’un à l’autre par l’abdomen. Mais ce qu’il faut noter, c’est que les mâles comme les femelles sont ailés.
Mais Marguerite fait son originale, elle n’a pas envie de faire comme tout le monde.
Chez les Psychidae donc, « petite » famille de lépidoptères, la chenille va très vite se construire un fourreau protecteur à l’aide de débris divers (brindilles, sable, tout petits cailloux) tenus ensemble par de la soie. Et oui ! Tout juste née on veut déjà se démarquer des autres. Le fourreau grandit avec son hôte : à mesure qu’elle grandit, la chenille ajoute des briques à petite maison. Enfin, petite … le fourreau peut atteindre 15 cm chez certaines espèces tropicales – celui-ci, environ 8 cm.
Pas facile d’observer la chenille sans détruire le fourreau, sauf quand elle se déplace – on voit alors la tête et le premier segment du corps. Le reste du temps, elle se suspend à une branche… ou à une balustrade, à une charpente. La vie larvaire peut être longue – j’ai trouvé une référence à une espèce sud-africaine dont les chenilles vivent 8 mois avant la nymphose (formation de la chrysalide) ; et je crois avoir lu quelque part, mais je ne sais plus où, quelque chose à propos d’une vie larvaire allant jusqu’à 3 ans !!! Bref ! Pendant tout ce temps, la chenille se nourrit de « végétaux supérieurs » – ses talents de défoliatrice vorace occasionnant parfois de véritables catastrophes économiques quand elle s’attaque aux champs – mais aussi de lichens, mycéliums de champignons divers… Chez nous elle a été observée sur du campêche (Hæmatoxylon campechianum), du goyavier (Psidium guajava) et du bois-patate (Calliendra tergemina).
La forme, les dimensions et la composition du fourreau sont spécifiques, ce qui facilite l’identification. Heureusement, car il serait dommage de détruire le fourreau pour chaque identification. D’autant que le fourreau n’abrite pas toujours une chenille. Oui oui… Marguerite l’originale… est une jusqu’au-boutiste de l’originalité.
La chenille se transforme en chrysalide dans son fourreau – jusque là c’est « normal » – mais n’en sortira un papillon que si c’est un mâle. Il est ailé, le plus souvent de couleur sombre sans décoration particulière, porte des antennes plumeuses, a des pièces buccales atrophiées.
Les femelles des Psychidae, elles, sont aptères – chez certaines espèces on peut tout de même observer des ailes vestigiales (des moignons en quelque sorte, non fonctionnels). Elles ne volent donc pas et passent leur vie dans le cocon. Elles sont/peuvent être – les données sont rares et je n’ose généraliser – aveugles, vermiformes (sans pattes, en forme d’asticot), sans pièces buccales, dépourvues d’antennes. Dans de telles conditions, pour attirer les mâles elles émettent des phéromones, et ce dès leur émergence de la chrysalide (qui je rappelle est elle-même dans le cocon). C’est qu’il faut faire vite.
Les adultes, mâles comme femelles, ne vivent pas longtemps – de quelques heures à quelques jours selon les espèces – car n’oublions pas, les pièces buccales sont atrophiées ou inexistantes. Difficile de s’alimenter dans ces conditions !
La photo ci-dessus ne montre pas un papillon émergeant de sa chrysalide dans son fourreau, mais un mâle qui a introduit son abdomen dans le cocon d’une femelle pour se reproduire. Je n’ai pas vu l’arrivée, mais je peux dire que l’opération de sortie n’est pas une petite affaire. Le mâle remonte très, très … très lentement le long du fourreau de la femelle, par là même étirant son abdomen à tel point que les membranes intersegmentaires sont tout a fait visibles (bien tendues). Je me demande si ça fait mal ? En tout cas j’avais mal pour lui .
La femelle pond ensuite ses œufs… dans son propre fourreau !
Il faut préciser que les œufs ne seraient pas toujours issus de la reproduction sexuée. Il semble que les Psychidae soient capables de parthénogenèse. Enfin bref ! La femelle meurt en général après la ponte, mais chez certaines espèces elle meurt avant. Les œufs éclosent alors dans les restes de la femelle. Après l’éclosion, les chenilles sortent du fourreau pour construire les leurs.
Mais allons ce n’est pas encore fini. Parce qu’il y a les originaux parmi les originaux…
Au Panama a été trouvé une espèce dont la chenille… est prédatrice ! Si, si, parce que les lichens et autres fungii, ce n’était pas encore assez original pour un papillon. Perisceptis carnivora, à peine plus d’un centimètre de long, se nourrit d’araignées, criquets, sauterelles, mouches, coléoptères, guêpes – à sa mesure bien sûre – et surtout de fourmis. Et puis elle garde des trophées : elle colle les restes de carapaces, bout d’ailes … sur son fourreau ! Erg ! Quel petit monstre ! Imaginez ça à votre taille, un « ver » géant dans une carapace de bave, d’ordures, de lambeaux de peau et d’os … Et vous avez une créature hideuse et monstrueuse parfaite pour un film d’horreur.
Bon, j’arrête mon film !