Laissez-moi vous raconter ce qui m’est arrivée dernièrement, à moi Bèt à Fé, dans un jardin où je passe souvent mon temps! Tranquillement endormie sur une branche de pois d’angole couvert de fleurs, un bruit inhabituel me réveille brusquement.
BZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZzzBBZZZZZZZZZZZZZZZZzzzzzzzzzzz…
Mais qu’est-ce donc ?
Vu mon air étonné, Manzel Mouche-à-Miel m’annonce fièrement que c’est sa cousine qui passe lui rendre visite.
« Une cousine ? Quoi ! Mais elle est énorme ! Et plutôt effrayante ! » lui répondis-je.
Elle me le confirme, en butinant les fleurs de pois d’angole :
« Mais oui, c’est Madame Vonvon. Comme nous, elle butine aussi les fleurs. »
Et Manzel Mouche-à-Miel s’en va rapporter ce qu’elle a récolté à la ruche, ce qui me laisse tout le temps d’observer sa cousine.
« Il faut dire qu’elle a tout pour se faire remarquer, comme son tailleur d’apparat noir qu’elle porte à merveille » dis-je à mes deux compères Cri-cri et Cabrit-bois.
Cri-cri : « Et ses yeux globuleux aux mille facettes qui semblent vous sonder ! »
Cabrit-bois : « Brrrr, moi c’est de ses griffes acérées dont j’ai peur ! »
Mouche-à-miel : « Eh oui, elle ne laisse pas indifférente ma chère cousine ! Moi, c’est sa mâchoire qui m’impressionne ! Vous saurez bientôt à quoi elle l’utilise, hahaha !»
Cri-cri et Cabrit-bois : « Brrrrrrrrrrrrrrr ! »
Tout cela m’intimide un peu, mais après quelques heures passées à l’étudier sous toutes ses coutures, je finis par m’habituer à tous ses va-et-vient entre le noni, le giraumon et le pois d’angole …
BBBBBBBBBBBBBBBBZZZZZZZZZZZZZzzzzzzzzzzzzzzz! Me voici réveillée. Il est 5 heures 30 du matin. Le soleil vient à peine de pointer ses premiers rayons. Madame Vonvon est plutôt du genre lève-tôt !
« Mais pourquoi est-elle recouverte de poudre jaune? Elle se camoufle ?»
« C’est du pollen, gros bêta ! répond immédiatement Manzel Mouche-à-Miel. Enfin ! C’est vrai que tu n’en manges pas toi ! »
Après quelques jours d’observations, je constate qu’il n’est pas rare, aux premières heures de la journée, d’entendre mes amis Cri-cri et Cabrit-bois, perchés dans le houppier d’un vieux manguier, se plaindre de l’arrivée de Madame Vonvon. C’est qu’ils essayent de s’endormir, après toute une nuit passée à chanter ! D’un air princier, la baronne Vonvon passe son chemin, ignorant superbement les protestations stridentes des insectes-musiciens.
« Tu l’as vue, celle-là ? Mais pour qui se prend-elle ? » rouspète Cri-cri, lançant un regard acide à la nouvelle venue.
« Ah non … c’est insupportable ! répond aussitôt Cabrit-bois. Depuis qu’elle est là, plus moyen de se reposer. Au moins, Manzel Mouche-à-Miel, elle, sait se comporter ! Mais la Baronne, c’est une vraie calamité !»
Mais moi, sans rien dire, je l’observe chaque jour avec une certaine sollicitude, admirant sa ponctualité et sa dévotion dans le butinage des fleurs. Elle les butine chacune avec une assiduité sans faille, n’en oubliant aucune, passant et repassant, sans jamais se lasser.
Voici maintenant un mois que Madame Vonvon a fait son apparition.
Tranquillement endormie sur une branche de noni, un bruit inhabituel me réveille en sursaut. Mais qu’est-ce donc ?
Vu mon air étonné, Manzel Mouche-à-Miel m’annonce fièrement que c’est la cousine qui emménage !
Eh bien non, elle ne vit pas dans une ruche, elle construit elle-même son nid. Lasse d’être une simple visiteuse, Madame Vonvon, va construire son logis dans notre jardin en creusant, avec une remarquable dextérité, et un talent inné, son nid dans un tronc d’acajou, que le propriétaire du jardin avait placé là pour servir de socle à son pot à fleurs !
Une fois le nid achevé, elle commence à faire de nombreuses provisions. Elle ramène tous les jours des amas jaunâtres qu’elle pousse dans son trou.
– Mais, qu’est-ce que c’est ? dis-je tout haut, les yeux écarquillés.
– Ma foi, Bét à fè, c’est du pollen !
– Ah bon ? Mais ça n’y ressemble pas du tout. On dirait plutôt un étron!
– Mais si, voyons, elle en a fait une mixture sèche et compacte, plus facile à stocker.
– Ah bon …
– Pour sûr, c’est du pollen ! récrimine Cabrit-bois. Elle m’en a aspergé plein les yeux, samedi dernier, pendant ma sieste ! Je ne sais ce qui me retient de …
– Calme-toi Cabrit-bois, lui répond Cri-cri. Ces abeilles-là sont d’une autre espèce. Ne leur cherchons pas la guerre. N’oublie pas que nous n’avons pas de dard, nous …
Sur ce, les deux lascars reprennent leur répétition pour le concerto du soir, là où ils l’avaient arrêté : Kriiiiket ! Kriiiikeeeet !
Voici maintenant deux mois que Madame Vonvon a fait son apparition. Les habitants du jardin commencent à s’habituer à sa présence.
Tranquillement endormie sur ma branche de noni, le bruit des battements d’ailes de Madame Vonvon me réveille en sursaut. On dirait que les ailes ont été démultipliées !
Vu mon air étonné, Manzel Mouche-à-Miel m’annonce fièrement que c’est la cousine qui ramène d’autres cousines !
Cri-cri : « Mais…mais…qu’est-ce que c’est encore que ce vacarme ! Elle a mis des haut-parleurs ou quoi ! »
Cabrit-bois : « Elle veut nous déclarer la guerre ! »
Madame Vonvon qui s’était absentée un instant du jardin est effectivement revenue avec une autre Madame Vonvon !
Cricri : « Oh mon Dieu ! Elle s’est dédoublée !!! »
Cabrit-bois : « Ou alors c’est sa sœur jumelle! »
Entre temps, croyez-moi sur parole, Madame Vonvon n’a pas hésité à faire venir d’autres congénères dans ce tronc : un, deux, trois, quatre et cinq nids supplémentaires !!! D’ailleurs, son mari est venu s’installer, lui aussi, mais je ne le vois guère car Monsieur Vonvon reste niché dans le tronc. Ce dernier s’est transformé en un véritable hôtel à Vonvons! Régulièrement, je constate l’agrandissement des nids, vu les nombreux résidus éparpillés au sol. En fait, ils ont colonisé tout le cœur du tronc.
Depuis quelque temps, Madame Vonvon se fait un peu plus rare. On dirait qu’elle passe plus de temps dans son tronc d’acajou.
Comme à l’accoutumée, à l’heure de l’apéritif, compères Cri-cri et Cabrit-bois ne se gênent pas pour clamer leur exaspération à qui veut l’entendre :
Cabrit-bois : Eh bien, nous voilà dans de beaux draps, maintenant !
Cri-cri : Quoi, qu’est-ce qui se passe ?
Cabrit-bois : Comment, tu n’es pas au courant ? La baronne va nous coloniser avec toute une tribu !
Cri-cri : Mais qu’est-ce que tu racontes …
Cabrit-bois : Tiens, écoute plutôt ça : « Nous avons le plaisir de vous faire part de la naissance de … Vovoni et de Vovona ! »
Cri-cri : Quoi ??
Cabrit-bois : Et c’est signé « Monsieur et Madame Vonvon. Compère, nous sommes fichus. »
Mouche-à-miel : Estimez-vous heureux ! Elle ne vous en a fait que deux en une année ! Notre reine, elle, pond 2000 œufs par jour!
Cabrit-bois : Nom d’une mandibule ! Mais de quoi elle se mêle, celle-là ?
Cela fait maintenant plus d’un an qu’ils vivent dans le jardin en parfaite harmonie avec mes autres amis insectes, ainsi qu’avec les humains (petits et grands), sans incidence.
Grâce à Madame Vonvon, et à ses amis, je vois les arbres tels que le noni, ou le pois d’angole s’embellir chaque jour, trop content d’être pollinisés !
Vous voulez que je vous dise ? Faites comme moi : adoptez un vonvon !
Mais qu’est ce qu’un vonvon ?
Le vonvon est le nom créole donné aux abeilles charpentières (ou xylocopes) aux Antilles françaises. Il évoque le bourdonnement audible lors de leur activité de vol.
Ce sont des hyménoptères appartenant à la famille des Apidés et à la sous-famille des Xylocopinés. Contrairement à l’abeille mellifère qui forme de grandes colonies très organisées de plusieurs milliers d’individus, les abeilles charpentières sont solitaires ou vivent en petites colonies très réduites mais le plus souvent en couple. Comme son nom français l’évoque, il fait ses nids dans le bois (troncs d’arbre, poteaux…) à l’aide de ses puissantes mandibules.
Curieusement, les mâles, remarquables par leur couleur orange, restent la plupart du temps dans le nid tandis que la femelle s’attèle quotidiennement à récolter le pollen et le nectar des fleurs indispensables à leurs progénitures. Deux espèces de vonvons sont connues en Martinique : Xylocopa fimbriata (Fabricius) largement répandue dans la région néotropicale et Xylocopa caribea (Lepeletier) inféodée à la Caraïbe.
Malgré leur apparence impressionnante, ces abeilles ne sont pas agressives et piquent très rarement, voire pas du tout !